L’obligation de réserve ne figure pas expressément dans le statut général des fonctionnaires. Elle est imposée par le juge administratif qui entend garantir ainsi la neutralité du service public et l’impartialité de traitement des usagers par les agents publics.
En 1983, lors des débats parlementaires sur le statut général des fonctionnaires, un amendement avait été déposé pour y inscrire l’obligation de réserve. Anicet Le Pors, alors ministre chargé de la Fonction publique, l’a fait rejeter, estimant préférable de « laisser le soin au juge administratif d’apprécier au cas par cas les limites au droit d’expression imposées aux fonctionnaires par l’obligation de réserve» (JO de l’Assemblée nationale, débats parlementaires, du 3 mai 1983, p. 799 et 822).
2 – En quoi consiste cette obligation de réserve ?
Venant contrebalancer leur liberté d’expression, le devoir de réserve impose aux agents, même en dehors de leur service, de s’exprimer avec une certaine retenue. Afin de respecter le principe de subordination hiérarchique et de neutralité du service public, ils doivent éviter toute manifestation d’opinion de nature à porter atteinte à l’autorité de la fonction. Le devoir de réserve interdit ainsi de tenir en public des propos outranciers visant les supérieurs hiérarchiques ou dévalorisant l’Administration.
Le respect de cette obligation s’apprécie selon la nature des fonctions, des circonstances et du contexte dans lesquels l’agent s’est exprimé, notamment de la publicité des propos (1).
3 – Quels faits constituent une atteinte à l’obligation ?
La jurisprudence offre divers exemples. Ainsi, le directeur d’un théâtre municipal qui profère en public de graves accusations de malveillance et d’incompétence à l’encontre du maire et de son adjoint chargé des affaires culturelles porte atteinte à l’obligation de réserve (2).
De même, constituent un manquement des propos diffamatoires contre des fonctionnaires, la publication par un fonctionnaire de police d’un dessin offensant le président de la République (3), les agissements d’une secrétaire de mairie durant une campagne électorale en tentant de créer une liste par le biais de manipulations (4).
4 – Quels faits ne portent pas atteinte à l’obligation ?
Ne portent pas atteinte à l’obligation de réserve, le fait pour un inspecteur des douanes de signer une motion adressée au président de la République en vue de mettre fin à la guerre d’Algérie (5) ou le fait pour un fonctionnaire de police de n’avoir pu empêcher des gestes et des cris hostiles au gouvernement lors d’une manifestation autorisée(6).
5 – Comment le non-respect de réserve est-il apprécié ?
Le non-respect de cette obligation de réserve est susceptible de constituer une faute disciplinaire (7). Il appartient à l’autorité hiérarchique dont dépend l’agent d’apprécier si un manquement à cette obligation a été commis et, le cas échéant, d’engager une procédure disciplinaire (8). Elle doit tenir compte notamment de la publicité des propos et du niveau de responsabilité de l’agent concerné.
6 – Des propos non publics sont-ils sanctionnables ?
La publicité des propos est l’un des critères permettant d’apprécier l’atteinte à l’obligation de réserve. Ainsi, ne manque pas à son obligation de réserve, l’agent qui exprime des « critiques d’ordre général » publiées en dehors de son service, sous un pseudonyme sur le site d’une association.
Une telle attitude ne constitue pas, selon le juge, un acte de défiance vis-à-vis de la commune qui l’employait. Elle se rattache, au contraire, à la liberté d’opinion garantie aux fonctionnaires par l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires modifiée (9).
Par ailleurs, le juge a souligné qu’« en manifestant son opinion sur des questions à caractère historique ou politique », l’intéressé n’a pas « transgressé les limites compatibles avec sa qualité d’agent public alors qu’aucune faute ne lui est reprochée en ce qui concerne sa manière de servir dans l’exercice de ses fonctions » (10).
En outre, l’attention des agents doit être attirée sur le caractère public des propos tenus sur internet et plus précisément sur les blogs, et sur les risques de porter ainsi atteinte à leur obligation de réserve (lire la question n° 9). En effet, la publicité des propos tenus sur un blog ne fait aucun doute. Un blog est « accessible à tous les internautes désireux de le visiter ou au hasard d’une recherche, quel que fût le centre d’intérêt qui les y conduisait » (11).
Tout dépendra du contenu du blog : « Dans ses écrits, le fonctionnaire auteur doit observer un comportement empreint de dignité, ce qui, a priori, n’est pas incompatible avec le respect de sa liberté d’expression »(12).
Ainsi, les agents publics qui participent à des blogs dans le cadre de leur vie privée doivent s’abstenir de tous propos susceptibles de mettre en cause de manière directe le fonctionnement de leur administration ou de l’Administration en général.
7 – L’obligation est-elle identique pour tous ?
Cette obligation concerne tous les fonctionnaires, y compris ceux investis d’un mandat syndical (13). Toutefois, l’obligation de réserve est plus ou moins étendue selon le rang de l’agent dans la hiérarchie et selon l’administration à laquelle il appartient.
8 – Qu’en est-il des représentants syndicaux ?
Les responsables syndicaux sont soumis aux mêmes obligations que tout agent, y compris à l’obligation de réserve. Cependant, elle s’impose à eux de façon plus souple et ils disposent ainsi d’une plus grande liberté d’expression dans l’exercice de leur mandat ou de leurs fonctions(14).
Ainsi, la déclaration d’un sapeur-pompier, responsable syndical, à un journaliste, exposant des revendications professionnelles ne constitue pas un manquement à l’obligation de réserve, en dépit de la vivacité de son ton (15).
En revanche, même en période de conflit social, des propos injurieux diffusés par un responsable syndical sur le site du syndicat, à l’encontre d’un directeur régional de La Poste, ont été jugés comme excédant la mesure admissible, ces propos étaient notamment : « pauvre vieux », « givré », « plus barge que ça, tu meurs », « dingue doublé d’un sadique » (16).
Enfin, on notera que l’assouplissement de l’obligation de réserve à l’égard des représentants syndicaux ne concerne pas les simples membres d’une organisation syndicale. Le fait pour un fonctionnaire de signer une pétition syndicale contre les heures d’ouverture d’un bureau dédié au public constitue un manquement au devoir de réserve, justifiant une baisse de sa notation (17).
9 – Comment internet est-il pris en compte ?
L’obligation de réserve s’impose aux agents publics, y compris dans leur vie privée, en particulier lorsqu’ils naviguent sur internet ou utilisent la messagerie électronique. Ainsi, manque à son obligation de réserve et de neutralité, le fonctionnaire qui mentionne son adresse électronique professionnelle sur le site internet d’une association à vocation religieuse (18).
De même, le fait pour un fonctionnaire d’adresser des critiques violentes à ses chefs de service, qu’il a largement diffusées par courrier électronique à l’ensemble du personnel des services concernés, caractérise des difficultés relationnelles professionnelles importantes(19).
10 – Les candidats à un concours sont-ils concernés ?
Lorsque l’autorité compétente arrête la liste des candidats admis à concourir, elle peut apprécier si ceux-ci présentent les garanties requises pour l’exercice des fonctions auxquelles donne accès le concours. Elle peut ainsi « tenir compte de faits et manifestations contraires à la réserve que doivent observer ces candidats » (20).
Par exemple, la participation d’un appelé à la rédaction et à la diffusion d’un journal dans une enceinte militaire constitue un manquement qui justifie le refus de l’autoriser à se présenter au concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature (21).
A l’inverse, la participation à des manifestations d’étudiants, véhémentes mais sans violence, ne constitue pas un manquement à la réserve justifiant le refus d’autoriser un candidat à se présenter à un concours (22).