Après l’accueil favorable réservé à la candidate par les ouvriers de Whirlpool, Philippe Martinez, secrétaire général du syndicat, appelle à contrer le FN sans appeler nommément à voter Macron.
Secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez appelle à faire barrage à Marine Le Pen, mais prévient Emmanuel Macron : s’il est élu, sa nouvelle loi travail «ne passera pas comme une lettre à la poste».
Pour qui allez-vous voter dimanche ?
Je vais aller voter…
Pour qui ?
Je vais aller voter…
Vous n’appelez donc pas à glisser un bulletin Macron et, contrairement à 2002, il n’y a plus d’unité syndicale sur le sujet. Même pour la CGT, le Front national s’est banalisé ?
On ne banalise pas le Front national. Je l’ai dit et je le répète : le FN n’est pas un parti comme les autres. Et on fait la différence entre Le Pen et Macron. C’est pour cela que l’on dit qu’aucune voix ne doit se porter sur la candidate du FN. Il n’y a pas plus clair comme message.
Pas aussi clair qu’il y a quinze ans…
En 2002, le résultat a été une véritable surprise, donnant lieu à une forte mobilisation. Chirac a fini avec 82 % des voix. Mais que s’est-il passé depuis ? Pourquoi, avec cette mobilisation exceptionnelle et un président très largement élu, on se retrouve dans la même situation ? On doit s’interroger sur ceux qui, pendant quinze ans, ont fait comme si rien ne s’était passé le 21 avril 2002. C’est le message de la CGT. Donc, évidemment, on doit faire barrage au FN, mais en même temps, aller plus loin et s’interroger sur les différentes politiques menées depuis et qui font qu’aujourd’hui on est confronté aux mêmes problèmes.
Donc pas Macron ?
Encore une fois, on appelle clairement à aller voter, et pas pour le FN. Mais il faut que tout le monde soit clair. Macron, le soir du premier tour, a dit : «Je ne vous appelle pas à faire barrage au FN, je vous appelle à voter pour mon programme.» A chacun d’assumer ses responsabilités. De la même manière, on ne peut pas renvoyer uniquement la responsabilité du résultat du premier tour sur les citoyens, en disant que les électeurs sont des imbéciles, sans faire un minimum d’autocritique.
Sentez-vous une poussée des idées frontistes dans le monde du travail ? Votre position est-elle une façon de ménager vos propres adhérents ?
Cette poussée, elle existe. Mais ceux qui considèrent qu’on essaierait de ménager l’extrême droite, soit ils vivent dans un autre monde, soit ils sont malveillants envers la CGT, ce qui peut exister. Toutes nos expressions contre le FN, encore une fois, sont claires. On a également engagé des formations auprès de tous nos militants, que l’on va poursuivre, pour alerter sur les dangers du FN. Et ces formations, désormais, ne portent pas uniquement sur les valeurs, mais également sur le programme économique et social de ce parti. Car il faut le dire : il y a usurpation d’un certain nombre d’idées ou de mots d’ordre de la CGT par le FN. Enfin, même si c’est encore trop, la part de sympathisants CGT dans le vote FN - 15 % - reste bien inférieure à la moyenne nationale. D’ailleurs, dans les expressions du FN, le syndicat qu’il vise en premier, c’est la CGT. Nous sommes leur principal ennemi. Et c’est plutôt une fierté pour nous.
Comment expliquez-vous l’accueil bienveillant réservé, la semaine dernière, à Marine Le Pen par les salariés de Whirlpool ?
Quand on est dans le désespoir, le désarroi face à un drame social, on peut s’égarer et, malheureusement sur de mauvais chemins. Qui plus est avec un parti comme le FN, qui sait très bien organiser les coups médiatiques. Elle ne serait d’ailleurs jamais venue à Whirlpool si Macron n’avait pas prévu de s’y rendre. Il y a cependant besoin de discuter avec les camarades de la CGT Whirlpool sur des alternatives et ne pas tomber dans ce piège qu’a tendu le FN aux salariés et aux syndicalistes du site. Et il n’y a pas que chez Whirlpool, malheureusement. Si on reprend la carte d’influence du FN, il y a les zones rurales, où les gens ont l’impression d’être abandonnés, mais aussi les déserts industriels.
Vous opposerez-vous à la réforme du droit du travail qu’envisage Macron ?
Je vous disais qu’il faut tirer l’enseignement des années passées. Donc si Emmanuel Macron veut aller plus loin dans la déréglementation du code du travail, y compris avec des méthodes similaires à la première loi travail pour faire valider le texte, ça ne passera pas comme une lettre à la poste… On donnera notre avis sur le sujet et ce sera ensuite aux salariés de décider.
Il propose aussi une baisse des cotisations salariales afin d’augmenter le pouvoir d’achat, ça ne vous convient pas ?
Non, car les cotisations sociales sont ce qu’il y a de plus égalitaire. Elles garantissent la solidarité nationale. Or le programme d’Emmanuel Macron s’oriente clairement vers une protection à plusieurs vitesses. Ce qu’on gagnera donc en pouvoir d’achat avec les baisses de cotisations sera perdu chez le médecin, à l’hôpital ou à la pharmacie, parce qu’il faudra bien que quelqu’un finance le système. Il faut au contraire revenir à une vraie Sécurité sociale, où chacun paye proportionnellement à ses revenus. Les salariés, mais aussi les entreprises, qui bénéficient le plus d’exonérations aujourd’hui.
Et un droit universel au chômage, ce n’est pas une bonne idée ?
Si, mais à condition qu’on ne prenne pas des droits à certains pour en ouvrir à d’autres. Si on indemnise les chômeurs à un niveau moindre ou moins longtemps pour répartir l’enveloppe actuelle avec les indépendants ou les salariés démissionnaires, ça revient à partager la misère.
Et parmi les propositions de Marine Le Pen ?
Il n’y a rien de bon dans son programme, qui est l’inverse de ce que propose la CGT. Derrière un discours en apparence proche des salariés, elle ne remet jamais en cause le capital. Son protectionnisme, qui consiste à dresser des murs autour de la France, épargne la responsabilité des entreprises dans le dumping social. Elle oppose les travailleurs entre eux, alors que la solution est d’élever les droits de tous les salariés dans le monde. Nous proposons par exemple d’écarter des marchés publics les entreprises qui ne respectent pas les droits sociaux. Ça, c’est du protectionnisme social. L’arrière-boutique du FN reste celle d’un parti libéral.
Mais sur les 35 heures, les accords de branche…
Nous défendons d’abord le code du travail, socle minimum commun à tous les salariés, que l’on veut le plus haut possible. Le FN, lui, n’en parle jamais. Il veut supprimer la loi El Khomri. Nous allons plus loin en réclamant un autre code du travail, plus favorable aux salariés.
Luc Peillon , Alexia Eychenne