Acte 3 : les syndicats de la fonction publique exigent des garanties pour les agents
Régime indemnitaire, avantages acquis, dialogue social… l’avant-projet de loi « décentralisation » étant muet sur ces points, les discussions entre syndicats de la fonction publique et gouvernement pourraient avoir lieu dans le cadre de l’agenda social.
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A l’aube d’une « nouvelle étape de modernisation de l’action publique », selon les termes de Marylise Lebranchu pour décrire la future loi, les représentants des agents attendent des garanties pour ceux transférés d’une fonction publique à l’autre, lors de mutualisations ou de la création de métropoles.
En son état actuel, l’avant-projet [2], qui devrait être voté avant l’été 2013, fait peu de cas des agents. Pourtant, la ministre de la Décentralisation a multiplié les rencontres avec les organisations syndicales depuis la conférence sociale de juillet.
En parallèle, un groupe de travail paritaire du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale étudie l’impact de nouveaux transferts. Ses propositions, examinées en séance plénière le 20 décembre, seront-elles reprises par le gouvernement ?
Une réunion était prévue, le 17 décembre, entre les syndicats et la ministre. Il est avancé, dans l’entourage de cette dernière, que le sort des agents se réglerait plutôt dans le cadre de l’agenda social, d’ici fin mars : Marylise Lebranchu choisirait de négocier plutôt que de légiférer.
Mais brosser les contours d’un nouveau cadre institutionnel en faisant abstraction des agents, est-ce viable ? Faudra-t-il attendre une seconde loi, dédiée à la fonction publique, qui pourrait suivre en 2013 ?
Bilan contradictoire des précédentes phases - Après les arbitrages du Premier ministre et du président de la République, l’avant-projet de loi peut encore être modifié jusqu’à sa transmission au Conseil d’Etat, début janvier.
Pour se faire entendre, mais sans voir renaître les oppositions de 2004 entre fonctionnaires de l’Etat et territoriaux tiraillés par les précédents transferts, la fédération CGT des services publics a travaillé avec l’Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF).
Avant toute nouvelle refonte, la CGT demande un bilan contradictoire des précédentes phases de décentralisation. « Une réforme risque d’accentuer les rationalisations pour optimiser les dépenses et faire des économies d’échelle, et de raviver des tensions liées à de possibles privatisations. Dans ce contexte, ne vaudrait-il pas mieux s’abstenir d’engager d’autres processus ? » s’interroge Baptiste Talbot, secrétaire général de la CGT – services publics.
Pas de transferts massifs - Axé sur la mutualisation des ressources, l’avant-projet de loi confirme qu’il ne devrait pas y avoir de transferts massifs de personnel.
Mais des secteurs sont directement cités : information-orientation, formation, gestion des milieux aquatiques, handicap… « On dit que les conseils généraux font mieux que l’Etat pour le maillage du territoire, mais les travailleurs sociaux – enfants de l’acte I de décentralisation – sont à bout de souffle », remarque Michel Angot, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire.
Comme toutes les organisations syndicales, la FSU reste soucieuse de l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire et du maintien du pilotage national, notamment, concernant l’emploi et l’orientation professionnelle.
Le transfert des gestionnaires de collège et lycée, qui mettrait fin à la double autorité pesant sur les agents, n’a pour l’instant pas été retenu. Pourtant, dans ce domaine, les précédents mouvements se sont plutôt bien passés : les conseils généraux et régionaux ont, sur leur territoire, tiré vers le haut les conditions de travail et les régimes indemnitaires, afin d’apaiser les tensions.
Mais cela s’est fait au prix d’inégalités de rémunérations accrues au plan national entre agents exerçant le même métier, au détriment de la mobilité. La discussion entamée avec le gouvernement le 14 décembre sur les régimes indemnitaires représente donc un enjeu essentiel.
Autre dossier inscrit à l’agenda « fonction publique », les droits en matière d’action sociale et de protection sociale complémentaire feront l’objet d’un bilan fin janvier.
Pour l’instant, les syndicats exigent le maintien de ces avantages acquis. Mais leurs disparités n’ajouteront-elles pas de la complexité aux structures d’accueil des agents, alors que la ministre a annoncé, lors des Entretiens de Strasbourg du 5 décembre, une réforme de simplification et de clarification pour le XXIe siècle ?
Réorientation professionnelle - A plus brève échéance, l’idée lancée par la CFDT d’un droit à une formation de reconversion, inspirée du décret – abrogé – sur la réorientation professionnelle de l’Etat, séduit les organisations.
Celles-ci souhaiteraient une application aux agents faisant déjà l’objet de mutualisation dans le cadre des schémas départementaux de coopération intercommunale. Au 1er janvier 2013, les SDCI suppriment en effet nombre de syndicats de communes et mixtes.
« Le statut ne maintient pas la fonction de ces agents, mais seulement leur grade. Ils peuvent se retrouver affectés à des postes moins valorisants », souligne Ange Helmrich, secrétaire général de l’Unsa-territoriaux.
Reconnaître leurs précédentes fonctions éviterait de leur appliquer une « double peine ».
Renforcer le dialogue au plan local
Le collège « employeurs » du CSFPT, qui souhaite être présent dans le (futur) haut conseil des territoires, a mandaté Jean-Claude Haigron, président du centre de gestion d’Ille-et-Vilaine, pour lui faire des propositions lors de la séance du 20 décembre : les CDG, qui peuvent suggérer un socle commun de prestations aux collectivités non affiliées, devraient, selon lui, devenir référents « ressources humaines », et la fédération être transformée en établissement public. Jean-Claude Haigron préconise un dialogue social renforcé. « J’ai noté l’inquiétude des personnels. S’ils sont inquiets, ils ne sont pas efficaces. Améliorons l’information sur les droits existants », suggère cet ancien DRH favorable au développement des compétences pour parer le risque de privatisation des missions. « Avec des agents bien formés, le travail en régie a de beaux jours devant lui. »
Les points de désaccord et les propositions des syndicats sur le statut des agents
CGT – services publics
- Harmonisation des rémunérations
La CGT propose de réduire l’amplitude, existant entre collectivités, des possibilités de régime indemnitaire (actuellement de une à huit). Le système en cours freine en effet la mobilité et peut nuire à la qualité du service rendu.
Des missions communes aux trois fonctions publiques, ainsi que des corps ou cadres d’emplois communs sont souhaités de longue date par la CGT.
FO – services publics et de santé
- Consultation des comités techniques
Ils donneraient leur avis sur les transferts et mutualisations. Les agents bénéficieraient d’un entretien individuel, et d’un congé de formation pour se qualifier.
- Protection sociale complémentaire
Son maintien est souhaité en cas de transfert ou de mutualisation, comme celui de l’action sociale. Des indemnités pourraient être versées si le lieu de travail change.
Unsa-territoriaux
Cette mesure, que l’Unsa propose en cas de transfert ou de mutualisation, est prévue en droit du travail français et européen. Elle irait de pair avec le maintien des avantages acquis, harmonisés sur quatre à cinq ans. « Des transferts paraissent logiques, mais que les agents concernés puissent perdre financièrement ou en avantages sociaux n’est pas acceptable », explique Ange Helmrich, secrétaire national.
CFDT-Interco
- Droit à une formation de reconversion
Cette disposition aiderait les mobilités géographiques et les changements de métier. Dialogue social et communication seraient organisés par le centre de gestion qui recevrait les agents et mobiliserait des outils de formation avec le CNFPT. « L’avenir est aux EPCI. Il nous faut une boîte à outils accompagnant ces restructurations », déclare Jean-Claude Lenay, secrétaire national.
Les points de désaccord et les propositions sur l’organisation institutionnelle
CGT – services publics
Cette évolution et l’octroi de pouvoirs accrus aux régions risquent, selon la CGT mais aussi la FSU et Solidaires, d’amplifier les inégalités d’accès au service public et la désertification de régions. Quels que soient les mécanismes de péréquation, Baptiste Talbot, secrétaire général, estime qu’« avec une enveloppe financière contrainte, tout ce qui sera donné aux communes pauvres aura des conséquences sur les communes riches ! »
FO – services publics et de santé
Effectuée selon le degré de mutualisation, cette éventualité inquiète FO, car elle pourrait entraîner une suppression de postes malgré les besoins. « Il faut un minimum d’agents pour assurer le service public local, sinon il y a un risque de transfert au privé », considère Johann Laurency, chargé du dossier, rassuré par le maintien des trois niveaux de collectivité, réaffirmé par François Hollande au congrès des maires.
Unsa-territoriaux
- Pouvoir normatif aux régions
L’Unsa est réticente à cette possibilité, car le maintien de l’unité du territoire prime pour le syndicat, qui souhaite éviter des disparités de financement entre régions « pauvres » et « riches ». En revanche, la constitution de métropoles n’inquiète pas l’Unsa, qui entrevoit cependant des conflits de compétences sur un territoire (par exemple entre régions et départements, pour la question des collèges et des lycées).
CFDT-Interco
- Pouvoirs accrus pour les régions et intercos
La CFDT juge ces échelons adaptés à une nouvelle étape de la décentralisation qui supprime les doublons et clarifie le « millefeuille » territorial. Mais Jean-Claude Lenay s’interroge sur le partage des compétences et l’avenir des départements face aux métropoles regroupant l’essentiel des habitants et de la richesse : « Comment seront pris en compte le reste du département et la solidarité ? »